Intervention du maire à l'AG du 10 août 2023
Vous trouverez dans cette page le compte-rendu des propos d'Eric Fournier et Eve Darragon au Majestic.
Eve DARRAGON :
« Merci, monsieur le maire, de venir nous exposer votre bilan, vos projets et répondre à nos questions. Votre disponibilité est réduite et nous ne pourrons pas tout aborder ce soir mais nous avons bien noté votre accord pour que les questions en suspens trouvent leur réponse par écrit ou au cours d’une réunion restreinte un peu ultérieure.
Vous savez bien sûr que les résidents secondaires sont des résidents très attachés à la vallée où beaucoup viennent depuis plusieurs générations et qu’ils représentent actuellement 75 % des recettes fiscales de la commune ; évidemment le sujet de la fiscalité retient toute notre attention et nous sommes impatients de vous entendre sur ce point ; si nous savons quel principe conduit votre action, nous ne savons pas à quel niveau vous placerez la barre… Enfin, n’oubliez pas que les participants présents devant vous ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui comprend toutes les générations qui suivent les aînés que nous sommes et qui, bien loin de se désintéresser des questions débattues aujourd’hui, laissent le soin à leurs aînés de faire valoir le point de vue des familles pendant qu’elles-mêmes profitent du temps magnifique pour parcourir cette vallée tant appréciée (applaudissements).
Nous vous proposons de nous focaliser sur les enjeux majeurs car nous sommes tous bien conscients que les changements qui ont commencé sont radicaux, partout en France certes, mais plus particulièrement dans cette vallée : fréquentation touristique croissante et augmentation forte des excursionnistes à la journée, problème d’organisation de la mobilité, fièvre de construction exacerbée depuis déjà quelques années peut-être par anticipation du futur PLU, mais malgré cela pénurie de logements abordables pour les saisonniers et même pour la population permanente dans le respect des grands équilibres entre populations permanentes et temporaires, respect auquel vous êtes très attentifs.
L’impact du changement climatique est encore plus manifeste ici que sur le reste du territoire et pose la question de l’avenir à moyen terme de la vallée ; la communauté de communes est active dans ce domaine avec des initiatives fortes (microcentrales vertes, développement de l’énergie solaire sur des bâtiments techniques, aide financière aux travaux de rénovation thermique de bâtiments par des artisans RGE) mais d’autres pratiques nous interrogent : est-il raisonnable de courir à grands frais, via la Compagnie des Alpes, pour poursuivre l’exploitation de la grotte de la Mer de Glace en voie de disparition ; est-il judicieux de reconstruire le téléphérique des Grands Montets, appelé à rouvrir au plus tôt en 2025, alors que l’étude d’impact indique que l’exploitation hivernale sera vulnérable aux conditions climatiques dès 2035 avec une rimaye difficilement franchissable dès 2040 et une paroi rocheuse à 60 % dégagée par la fonte des glaces ? est-il raisonnable de tolérer des vols touristiques en hélicoptère avec des émissions polluantes et des nuisances sonores ? Est-il raisonnable de continuer à densifier les constructions dans des secteurs désormais exposés à des risques naturels induits par le changement climatique (risques nouveaux, débas glaciaires, laves torrentielles, écroulements rocheux…). Autre souci nouveau : comment faire face aux dégâts causés par les scolytes et bostritch dans nos forêts de protection ?
Nous sommes ainsi à l’aube d’un monde nouveau que nous avons encore du mal à appréhender et la tentation est grande de prolonger le modèle ancien tant les défis ont une ampleur inédite. Notre vallée est, malheureusement, un laboratoire du changement climatique qui, n’en doutons pas, y sera particulièrement marqué. L’ARVAC est prête à s’associer à vos réflexions ; face aux défis qui nous attendent les clivages entre résidents permanents et temporaires sont devenus artificiels et doivent être dépassés. Les groupes de travail que nous avons commencé à lancer et que nous allons développer souhaitent apporter leurs contributions aux réflexions sur le devenir d’une vallée à laquelle nous sommes tous très attachés. »
Eric FOURNIER :
Merci, Madame, de m’avoir invité à m’exprimer ici ce soir et je tiens à souligner que j’apprécie cette relation forte entre votre association et la commune de Chamonix : les relations se sont développées entre nous au fil des années, des mandats et des présidences et j’espère qu’elles se poursuivront, avec le renouveau apporté par les groupes de travail que vous avez évoqués. L’heure de ce soir ne sera pas suffisante pour traiter tous les sujets que vous avez signalés et nous aurons à nous rencontrer ultérieurement pour avancer. Mais je tiens à vous assurer de notre disponibilité dans ce but.
Je ne commencerai pas par parler fiscalité par ce que celle-ci est une conséquence, un outil et je veux d’abord exposer notre trajectoire. Je partage votre propos sur « l’ancien modèle » obsolète et j’espère ne pas faire parti des élus qui en seraient toujours là…
Pour notre part, le modèle que nous souhaitons pour la vallée est simple et basé sur la réalité de ce que nous vivons : nous sommes effectivement un laboratoire, du fait des sites les plus touchés par le réchauffement climatique mais nous bénéficions aussi de beaucoup de ressources humaines pour y participer, bien au-delà des 14.000 habitants de la communauté de communes. Il y a 60 à 70 équipes qui ici en permanence travaillent sur les impacts du changement climatique ou des phénomènes environnementaux. Notre souci est de savoir comment raccourcir le délai entre les études et les prises de décision par la puissance publique. Depuis l’été dernier nous avons mis en place un Conseil Scientifique avec d’éminents spécialistes, installés dans la vallée et connaisseurs de celle-ci, conseil qui travaillera évidemment en lien avec d’autres conseils comme celui de l’ARNAR (Réserve des Aiguilles Rouges).
Par ailleurs, nous avons conscience de l’évolution de la notion de « résident secondaire » devenue beaucoup plus variée avec des présences plus fréquentes, notamment liées à la progression du mode de télétravail. Et nous comprenons bien que vous avez investi dans la vallée à cause de votre amour de celle-ci.
Les problèmes apparus avec les pressions foncière, immobilière et touristique sont loin d’être tous réglés mais nous nous attachons à donner une image de là où nous voulons aller et notre diagnostic est le suivant : si, de 2011 à 2021, la fréquentation touristique par les « séjournants » est restée stable, depuis l’après-COVID et 2021 les « excursionnistes » ont cru de 10 % par an, nous obligeant à reconsidérer nos équipements. Face à cela, nous avons décidé depuis près de 15 ans déjà de ne pas autoriser de croissance de lits touristiques dans la vallée, alors qu’il y en a déjà 80.000 – et c’est peut-être déjà trop… – se décomposant en 15.000 lits hôteliers et para-hôteliers, 20.000 lits « intermédiés » (plateforme Airbnb et assimilées) et 45.000 lits non commercialisés. De même, nous refusons d’augmenter les capacités d’infrastructure structurante type remontée mécanique. Nous avons plus l’habitude de parler de ce que nous faisons que de ce à quoi nous avons renoncé, mais renoncer c’est aussi un choix, un acte ! Ainsi cette année nous avons renoncé à l’appareil prévu pour relier Charamillon à la crête voisine. Moderniser celui des Autanes a un sens mais installer un appareil supplémentaire à Charamillon, c’est d’un autre temps. Aux Grands Montets, on va passer de 9 remontées à seulement 7. L’idée est désormais de faire mieux et non de faire plus.
Pour les remontées mécaniques, nous essayons d’avoir, dans le cadre du programme européen (Val d’Aoste – Valais – Savoie) Adapt-Mont-Blanc, une vision à 40 ans, aidés par les experts, glaciologues et autres. Les perspectives nivologiques, l’évolution du permafrost sont dramatiques en général ; pour la vallée de Chamonix, il semblerait toutefois que l’enneigement devrait probablement rester un peu meilleur qu’ailleurs, pour les 40-50 ans à venir, ce qui nous incite à pratiquer des remplacements d’équipements et des mutations progressives de notre économie. Mais si nous devenons un des rares sites à bénéficier encore d’un enneigement relatif, la pression deviendra pire qu’aujourd’hui…
Dans ces conditions, il va falloir réguler et avoir une stratégie globale vis-à-vis des excursionnistes. Des décisions sont déjà prises :
- Miser à fond sur le transport collectif avec 50 % de plus de kilomètres desservis par les transports publics, en réglant les problèmes épisodiques de pointes (Noël - jour de l’An par exemple…), extension des plages horaires, plus de cabotage entre villages, optimisation des horaires pour « faciliter » les correspondances.
- Revoir les politiques tarifaires des remontées mécaniques ; nous allons demander à la Compagnie du Mont-Blanc de revoir ses grilles tarifaires, d’oublier les tarifications à la journée et de concevoir des tarifications adaptées à des résidents (forfaits à la saison ou à l’année), sachant qu’il est maintenant interdit de faire des distinctions dans les forfaits entre résidents permanents et résidents « secondaires ». En revanche, il pourra y avoir des forfaits « vacanciers » pour une semaine, par exemple. Le but est de favoriser le tourisme qui reste sur le site.
- Décliner cette politique tarifaire sur tous les équipements sportifs ou culturels, c’est-à-dire pratiquer des tarifs préférentiels pour tous les résidents, par rapport aux tarifs plus élevés appliqués aux touristes. La carte matérialisant la qualité de « résidents de la vallée » sera maintenue pour continuer à favoriser les familles mais sera relevée de 20€ à 50€ ; l’augmentation peut paraître élevée mais le coût de 50 € reste encore très léger en comparaison des 500 € ou 750 € pratiqués à Grenoble ou Annecy et par rapport aux avantages associés (libre circulation ferroviaire notamment).
L’évolution de la fréquentation touristique a créé un alourdissement des nuisances associées et certaines sont devenues affolantes ; nous nous y attaquons une à une. Ainsi, contre la prolifération catastrophique des camping-cars, nous avons très récemment décidé la création d’une zone réservée au parking du Grépon pour 90 camping-cars, paysagée et aménagée (sanitaires, etc). Cela permettra de renforcer la lutte contre toutes les poches sauvages que l’on voit se multiplier. En matière de nuisances sonores, nous exigeons désormais de chaque établissement une étude d’impact précise, ce qui a abouti à une réduction sensible du niveau dans un certain nombre d’établissements. Cependant, pour les nuisances sonores, la lutte est plus complexe parce que, à ma grande surprise, l’espace aérien échappe presque totalement au pouvoir de police du maire et relève de la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile). Nous discutons avec la préfecture et espérons aboutir à une amélioration sensible mais les vols en question sont aussi initiés par des personnes extérieures à notre site, et ne relèvent donc pas de la préfecture de Haute-Savoie. Pour les hélicoptères de Pascal Brun, des engagements ont été obtenus : pas d’utilisation entre 12h et 14 h, pas de vols touristiques le dimanche, pas de sauts en parachute n’importe où. Bien sûr, les utilisations pour les secours en montagne ou les travaux seront préservées alors que les utilisations touristiques seront limitées. (L’information qu’une seconde société d’hélicoptères cherche à s’implanter en dehors de Chamonix nous inquiète et nous allons en discuter avec le préfet). Nous cherchons à faire décroître les activités liées au tourisme et sommes fermement décidés à lutter notamment contre les activités de type « touch and go » qui viennent déposer jusqu’à trois fois par heure des personnes sur les 3 hélisurfaces autorisées dans la vallée : glacier d’Argentière, glacier du Tour et secteur de Leschaux . C’est carrément catastrophique mais autorisé par un arrêté préfectoral ! Et c’est ce qui permet à l’aéroclub de Megève de faire ses formations sur les glaciers d’ici. Il y a aussi une nécessité pour nous, et pas seulement pour la DGAC, de pouvoir connaître qui survole la vallée et pourquoi.
Plus généralement, nous avons besoin de connaître le niveau exact de la surfréquentation évidente et de la qualifier. Nous obtenons petit à petit de nos prestataires un affinement des données fournies jusqu’à présent et qui n’ont pas toujours été parfaitement représentatives. La pression touristique prend des formes diverses et, si l’été nous recevons quotidiennement probablement 25.000 touristes à la journée, nous accueillons aussi 25.000 coureurs et supporters pendant l’UTMB fin août. C’est devenu aussi un problème, même s’il n’y a pas une hyper concentration dans un seul lieu. Nous sommes donc en train de changer les curseurs sur un certain nombre de sujets et trouver une voie médiane entre décroissance organisée et libéralisme à tout crin. Et ceci dans le cadre prévu par la loi, quitte d’ailleurs à obtenir que la loi s’étende sur des domaines oubliés : l’espace Mont-blanc est classé, sur le plan terrestre cela est contraignant et c’est bien, sur le plan aérien il n’y a pas de contrainte spécifique et cela manque, c’est à faire.
Avec vous, nous sommes prêts à faire baisser les nuisances signalées grâce à une politique sociale et une politique environnementale adaptées mais sans oublier la politique économique qui doit être la plus vertueuse, la plus ancrée possible aux retombées et aux chaînes de valeur ajoutée qui sont possibles pour le territoire et non pas à des choses qui viennent de l’extérieur.
En réponse à la suggestion d’Eve Darragon de développer à Chamonix un tourisme scientifique centré sur les glaciers en s’appuyant sur une tradition d’excellence (cf. école de physique aux Houches) et qui pourrait être un atout de développement pour une diversification du tourisme sur les quatre saisons, Eric Fournier a répondu :
Votre idée est certes intéressante mais nous devons aller vite et pas seulement pour renouer avec la tradition scientifique de la vallée ; j’aime beaucoup l’exemple valaisan qui a su mettre en place une grande proximité entre 3 pôles : « l’université» et le monde de la recherche, le monde de l’entreprise et le territoire. En Valais, cette proximité donne des résultats remarquables même dans de petits villages (cf Bruson près de Verbier). Ici une mise en commun de ce qu’on sait faire sur l’énergie, le réchauffement climatique, la biodiversité, etc, pourrait permettre d’aboutir à des résultats, y compris sur le plan économique. On peut donc imaginer une sorte de fondation ou de lieu qui permettrait de brasser toutes ces compétences - et notamment les vôtres compte tenu du nombre de vos membres qui ont des expériences remarquables et qui sont prêts à donner de leur temps - avec l’appui de grandes écoles qui ont déjà donné leur accord de principe (écoles principalement suisses mais cela peut s’ouvrir aux écoles françaises ) pour nous aider à aboutir dans nos projets : lieu d’exposition pour les scientifiques et leurs propositions (peut-être 500 m² disponibles dans la gare SNCF de Chamonix), lieu de type incubateur de PME (sur le tiers-lieu en projet à Servoz). Ces projets permettent d’aller plus loin, ils donnent sens aussi au tourisme.
Abordons deux derniers sujets pour terminer : le logement et son impact sur la fiscalité associée.
Logement : notre objectif est de conserver un équilibre satisfaisant. Nous mettrons bien sûr en place les décisions prévues par le ZAN (= Zéro Artificialisation Nette) et proposerons donc dans le nouveau PLU la diminution de 50 % des surfaces constructibles. Mais nous devons aussi garder l’équilibre entre nos populations permanente et temporaire. Nous continuerons notre action classique de préemption quand cela s’avère adapté à nos besoins et que cela reste dans nos moyens. Nous avons aussi besoin d’être aidés sur le plan règlementaire, comme des servitudes en faveur du logement permanent ou des modalités d’équilibre de la fiscalité : niche fiscale en faveur de la location saisonnière v/s location à l’année, régulation de la multiplication des locations Airbnb qui chassent les habitants permanents alors que 20 % des biens de la commune sont en location via ces plateformes.
Fiscalité : Oui, nous envisageons de renforcer la fiscalité sur l’immobilier si la possibilité de le faire nous est donnée (par publication du décret d’application de l’amendement Roseren). J’ai jusqu’à présent cherché à ne pas alourdir cette fiscalité car notre population permanente est, comparativement aux autres communes, relativement plus pauvre. Dans la communauté de communes, les taux en vigueur sont parmi les plus bas de tout le voisinage, aussi bien en plaine (+ 25 % en moyenne) que dans les stations de montagne (+ 25 à + 60%). Quand nous déciderons de pratiquer cette surtaxe, nous le ferons en concertation, et sans radicalité. Il sera utile que vous ne vous arrêtiez pas au pourcentage décidé mais que vous mesuriez concrètement l’impact en €.
Cette décision sera prise parce que nous avons besoin d’être plus efficace sur la problématique du logement. Les droits actuels seront préservés car pour moi la segmentation n’est pas entre résidents secondaires et principaux mais entre excursionnistes et résidents. Quant au niveau de la surtaxe, quelque qu’il soit, vous constaterez qu’après cette mise en place votre feuille d’impôt restera toujours sensiblement inférieure à celles des communes voisines hors communauté de Chamonix.
Enfin, pour les autres questions, le maire s’est engagé à y répondre ultérieurement directement auprès de l’ARVAC.
Le combat de Chamonix pour réguler les Airbnb
L'opportunité de faire un point en ce janvier 2025 sur les différentes mesures, mises en action...
Soyez informé de l'actualité de la Mairie
Tenez-vous au courant de l'actualité chamoniarde en vous abonnant à la newsletter de la Mairie...
Rencontre avec le maire le 28 février 2023
Participants : Eric Fournier, Julien Tourral directeur de cabinet du maire, Eve Darragon pour...
Intervention du Maire, Eric Fournier à l'AG du 11 août 2022
1 - Les types d’habitat : Le maire a tout d’abord insisté sur sa volonté de parvenir à diminuer...
Le PGHM, au coeur de Chamonix
Les hélicoptères du PGHM font partie du ciel de Chamonix depuis la création du Peloton de...
"La montagne doit rester un espace de liberté"
Les valeurs de responsabilité, d’humilité et de liberté sont au coeur de l’alpinisme et la...