Stations de ski : l'opportunité de produire de la neige en débat
Montagnes Magazine - 07/09/2023 -
Une équipe de chercheurs s'est intéressée au risque d'approvisionnement en neige des 2 234 domaines skiables européens dans deux scénarios climatiques (+2 °C et +4 °C) et techniques (enneigement naturel ou articiel). Cette nouvelle étude vient alimenter le sempiternel débat de la production de neige dans les stations de ski, chiffres à l'appui.
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Dans un article scientique paru dans la revue Nature Climate Change le 28 août dernier, une équipe de chercheurs parmi lesquels on trouve les Français Hugues François, Samuel Morin et Raphaëlle Samacoïts, s'est intéressée aux dés auxquelles les stations de ski européennes sont amenées à faire face avec le réchauffement climatique, en se focalisant sur l'inuence et l'empreinte environnementale de la production de neige de culture.
« Le risque d'approvisionnement en neige pour le tourisme de ski augmente avec le niveau de réchauffement climatique », expliquent ainsi les chercheurs. Selon eux, « en l'absence d'enneigement, 53 % des 2 234 stations de ski étudiées dans 28 pays européens devraient être exposées à un risque très élevé d'approvisionnement en neige dans le cas d'un réchauffement climatique de 2 °C ». Dans un scénario à 4 °C, 98% des stations seraient concernées.
La production de neige face à des injonctions contradictoires
L'équipe de recherche a également étudié les scénarios d'enneigement articiel. Dans le cas d'une couverture en neige de culture à 50%, la proportion descendrait à 27% dans le cas d'un réchauffement de 2 °C, à 71% pour 4 °C. Cette couverture nivale articielle impliquerait cependant « une augmentation de la demande en eau et en électricité (et de l'empreinte carbone correspondante) de l'enneigement », sans que les chercheurs occultent toutefois le fait que l'empreinte carbone des stations tient surtout aux déplacements et à l'hébergement des skieurs.
Ceci étant, ils notent que la production de neige ne garantit pas l'amélioration des conditions d'enneigement dans un climat plus chaud et que l'augmentation des besoins en eau et en énergie va à l'encontre des efforts déployés pour réduire l'impact du tourisme sur l'environnement.
Dans un article précédent, Lucas Berard-Chenu, Emmanuelle George, Hugues François et Samuel Morin s'interrogeaient déjà sur les mécanismes de dépendance que la neige de culture engendre pour les stations. « Dans un contexte de changement climatique, la pertinence de l’adaptation technique est questionnée alors même que l’industrie des sports d’hiver l’intègre de manière courante dans ses pratiques », estimaient les chercheurs. Ou encore : « En limitant sa météo-dépendance, l’industrie des sports d’hiver a parallèlement accru sa dépendance à la production de neige. »
Quant à la façon dont le changement climatique affecte la couverture neigeuse, la durée de l'enneigement dans les Alpes a diminué de 36 jours sur les 600 dernières années – une baisse « sans précédent » selon une autre étude parue plus tôt dans l'année dans la même revue.
Un indice de fiabilité de la neige par station de ski européenne
18 régions européennes ont été considérées dans cette nouvelle étude, dont les Alpes françaises, les Pyrénées et la moyenne montagne française et suisse, pour une surface totale de 984 km2 de pistes. Selon le rapport du tourisme de neige et de montagne de Laurent Vanat, l'Europe est en effet le plus grand marché de ski au monde avec environ la moitié du nombre total de stations et plus de 80 % des stations de ski du monde qui dépassent le million de visites par an.
Pour estimer les conditions propices au ski, les chercheurs ont regardé la part d'un domaine skiable bénéciant d'une quantité de neige sufsante un jour donné, estimé à 20 cm de neige damée, puis regardé la moyenne de ces données journalières de décembre à février. Cela donne un indice de abilité de la neige pour chaque station de ski plutôt qu'une moyenne sur l'ensemble des domaines skiables.
Le manque de neige est ainsi déni comme les 20 % d'années les plus défavorables en termes d'enneigement naturel damé rencontrées au cours de la période de référence (1961-1990, l'âge d'or du développement de la plupart des stations de ski en Europe). Le risque d'approvisionnement en neige lié au changement climatique est quant à lui quantié par la fréquence des saisons hivernales avec un indice de abilité de l'enneigement inférieur à la valeur seuil.
Leurs résultats montrent ainsi une certaine hétérogénéité selon les stations. Dans les Alpes, la neige de culture réduit le risque de pénurie de neige, bien que le bénéce marginal diminue au-delà d'un couverture nivale articielle de 50%. Dans les Pyrénées ou la moyenne montagne française et suisse, l'enneigement articiel a un
impact positif sur le niveau risque jusqu'à un certain point. Dans d'autres massifs encore comme la moyenne montagne du centre de l'Europe, le réchauffement climatique fait courir un risque d'approvisionnement rapide, indépendamment du taux de couverture en neige de culture.
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Risque d'approvisionnement en neige pour le tourisme de ski dans les zones de montagne européennes, en fonction du niveau d'enneigement articiel, d'indétectable (blanc) à modéré (jaune), élevé (rouge) et très élevé (violet). Les cercles indiquent les changements relatifs de la demande en eau. © Hugues François & co. / Nature Climate Change
Une augmentation des besoins en eau et en énergie
Selon l'équipe de recherche, à l'échelle européenne, des pistes couvertes à moitié par de l'enneigement articiel requérait 100 m3 d'eau par an sur la période de référence (taux d'enneigement articiel de 25 %), soit 13% des précipitations annuelles sur lesdites pistes. L'augmentation des besoins en eau a été calculée par les chercheurs : 8% à 25% pour un scénario à + 2°C selon le pays, 14% à 42% à 4 °C. La demande d'eau serait toutefois moindre en novembre du fait de conditions moins propices à l'enneigement.
Concernant l'énergie, les chercheurs estiment que l'enneigement a consommé environ 300 gigawattheures (GWh) d'électricité par an sur la période de référence, produisant environ 80 000 tonnes de CO2e, bien que ce chiffre varie fortement d'un pays à l'autre en fonction du mix énergétique choisi. Dans des scénarios à +2 °C et à +4 °C, les besoins en électricité devraient respectivement atteindre 93 000 et 97 000 tonnes de CO2e, le tout représentant une part limitée de la consommation globale d'une station de ski.
La question a toutefois son importance, dans un contexte où le prix du mégawattheure a été multiplié par dix en un an, « une situation intenable qui met en péril la pérennité des stations de montagne » selon l'association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM), qui demande une renégociation de leurs contrats d'électricité avec les fournisseurs d'énergie et souhaite faciliter l’installation de microcentrales hydroélectriques en montagne.
« Bien qu'elle ne représente qu'une fraction modeste de l'empreinte carbone globale du tourisme de ski, la fabrication de neige fait partie intégrante de l'industrie du tourisme de ski et illustre certains des principaux dés à
relever à la jonction entre l'adaptation au changement climatique, l'atténuation de ses effets et le développement durable dans les montagnes, qui sont très vulnérables sur le plan socio-écologique », estiment les chercheurs. Ces derniers signient enn qu'ils n'ont pas évalué tous les impacts environnementaux de la neige de culture, citant le cas emblématique des retenues d'eau parmi les infrastructures perturbant les écosystèmes locaux.
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En France, Mountain Wilderness a appelé à « changer de cap collectivement pour ne pas s’enfermer aveuglement dans un modèle en impasse ». Un discours à rebours de la position tenue par Domaines Skiables de France (DSF), le syndicat des exploitants de remontées mécaniques, qui souhaite « préserver le ski demain ».
L'association environnementale dénonce d'une part le déplacements en avion de la clientèle étrangère des grosses stations internationales ; d'autre part l'endettement de la majorité des stations souffrant du manque de neige et investissant dans la neige articielle. Un « cercle vicieux » qui « fragilise durablement le tissu socio-économique des territoires de montagne », selon Mountain Wilderness, qui invite à « engager la transition vers d’autres perspectives de vie en montagne à l'année » et « repenser collectivement nos modes de vies, nos modèles économiques ».
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